L'influence des huiles essentielles sur notre cerveau, entretien avec André Bitsas
- Union Belge des Herboristes
- 29 déc. 2024
- 17 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 déc. 2024

En cette période de fêtes de fin d’année, Margaux Crickx a profité du
froid et du blues qui l’accompagne pour échanger sur les pouvoirs de l’Aromathérapie avec André Bitsas, fondateur de la marque Bioflore, de l’École d’Aromathérapie Appliquée et professeur d’aromathérapie.
Et nous nous sommes plus particulièrement intéressé·e·s à l'olfactothérapie ou l’aromachologie.
Sommaire :
C’est quoi l’aromachologie ?

Également appelée « olfactothérapie », c’est l’étude de l’influence des odeurs – ici des molécules volatiles d’huiles essentielles – sur les comportements humains.
Alors que l’aromathérapie scientifique et familiale s’est fait une place dans les foyers, l’olfactothérapie fait encore des sceptiques. On a tous·tes déjà employé une goutte de Tea-tree sur un bouton, un peu de Lavande sur l’oreiller ou de Ravintsara en baume sur le thorax lorsqu’on s’enrhume – mais que sait-on du pouvoir des odeurs sur notre cerveau limbique ?
Le sens de l'odorat est unique par son ancienneté dans l’évolution et sa connexion directe au système limbique, la zone du cerveau qui gère les émotions et la mémoire. Contrairement aux autres sens, les informations olfactives n’ont pas besoin de passer par les zones de traitement mental du cerveau avant d’atteindre l’amygdale et l’hippocampe. Cette spécificité explique pourquoi une simple odeur peut instantanément réveiller un souvenir ou provoquer une émotion forte, sans que nous en ayons pleinement conscience.
Ce mécanisme ancien, essentiel à la survie, aidait nos ancêtres à détecter les dangers, les sources de nourriture ou les partenaires.
Aujourd'hui, les odeurs sont de plus en plus utilisées pour aider à surmonter les chocs émotionnels, les conséquences des AVC ou encore pour stimuler les personnes âgées souffrant de trouble de la mémoire. L'olfactothérapie est également utilisée dans les zones de guerre (notamment en Ukraine), au contact des populations confrontées à des troubles du stress post-traumatique, en association avec la méditation et la zoothérapie.
Les termes d'olfactothérapie et d'aromachologie sont régulièrement utilisés pour désigner le soin par l'odorat.
Dans cet article, nous avons choisi d'utiliser le terme olfactothérapie, qui est plus commun.
Notre entretien fleuve sur l'olfactothérapie avec André Bitsas
André Bitsas nous parle de son approche de l'olfactothérapie au sein de l'École d’Aromathérapie Appliquée, mais aussi de sa vision plus globale de l'aromathérapie.

Margaux Crickx – "Alors, quand peut-on parler d'olfactothérapie? Et comment prouver son efficacité ?"
André Bitsas – Il y a l'aromathérapie « pure » que tout le monde connaît et vous la décrivez très bien. Mais de nombreux auteurs se dirigent maintenant vers une voie médiane entre l’aromathérapie et l'olfactothérapie.
Dominique Baudoux(1), précurseur de l'aromathérapie scientifique, a aussi un peu évolué dans la direction de l'olfactothérapie ou l'aromathérapie subtile.
A l’École d’Aromathérapie Appliquée, avec le parcours que nous avons a créé, nous souhaitons faire évoluer l'aromathérapie vers son pendant strictement olfactif, qui est probablement aujourd'hui l’un des plus prometteurs.
C'est un domaine qui est abondamment exploré pour le moment. Il n'est pas nécessairement lié aux huiles essentielles, mais simplement à la redécouverte de l'odorat et de ce que cela implique pour l'espèce humaine.
Le but de notre parcours est de réhabiliter l'odorat, de remonter aux sources historiques, aux ressources géographiques. De voir à quel point dans le passé, même dans un passé lointain, l'odorat et son usage était plus importants que ce qu’il sont devenu. On a perdu probablement une dimension tout à fait inhérente à notre vécu humain et qu'il est passionnant pour nous de faire redécouvrir.
Nous utilisons énormément les huiles essentielles via différentes interfaces, autrement dit, des « modes d'utilisation ». On connaît les règles : on peut les avaler, les appliquer sur la peau, les respirer en les mettant dans un diffuseur ou bien dans un petit applicateur à billes.
Mais ça reste d'abord et avant tout une substance volatile.
Donc l’une des interfaces les plus fascinantes de l'aromathérapie et son pendant l'olfactothérapie, c'est l'interface olfactive.
C'est une chose assez fantastique et merveilleuse qu'il faut exploiter, mais dont le relatif inconvénient est de ne pas pouvoir être généralisé comme on généralise les utilisations de l'aromathérapie « classique ».
En effet, de nombreuses personnes aujourd'hui soignent une petite blessure sur la peau avec un peu de Tea-tree dessus. On a un équivalent naturel d’un antiseptique bien connu, que personne ne va mettre en doute.
M.C. – Comme vous l’avez dit, c’est moins généralisable sur le plan « olfacto-thérapeutique »…
A.B – Imaginer que certaines odeurs (ou la plupart des odeurs) sont toujours accueillies de la même manière par une majorité de gens… C'est une douce illusion !
Il faut apprendre aux gens à se mettre en condition pour accueillir les odeurs et ressentir ce qu’elles peuvent leur apporter d'un point de vue physique.
C'est le but de ce paradigme.
M.C. – Et comment ça se passe, concrètement, l’analyse d’une réaction suite à l’olfaction d’une huile essentielle ?
A.B – Mon épouse, Sarah, a mis ça au point en parallèle de ses pratiques du reiki et de soins énergétiques.
Elle a fait cela via les recherches en olfactothérapie, en proposant une méthode de mise à disposition complète sans préjugés des gens au contact de l'odeur.
Le but est de décrire par la pleine conscience ce qu'ils ressentent dans leur corps, strictement dans leur corps et pas dans leur tête, avant l'utilisation d'une odeur.
On leur propose ensuite une odeur et on leur demande de décrire ce que ces odeurs font dans leur corps avec toutes sortes de clés qui leur sont données (des clés de vocabulaire, de ressenti, du « j'aime, je n'aime pas »).
C'est une gymnastique un peu compliquée mais qui nous évite de généraliser.
L’huile essentielle d’Oliban est souvent associée au deuil, mais de manière générale c'est une huile essentielle de passage. Et tout le monde ne va pas l'apprécier de la même manière. Certaines personnes ont le souvenir d’avoir été enfants de chœurs dans une église et ça ne leur a pas tellement plu. Là il peut y avoir des barrages.
Donc, on ne peut pas toujours dire que les gens vont être réceptifs de la même manière. L'idée de ce parcours, c'est de mettre les gens en condition pour qu'ils puissent accueillir une odeur en toute objectivité.
M.C. – Et c’est donc un parcours spécifique qui se fait en formation via l’École d’Aromathérapie Appliquée ?
A.B – Ce parcours n'est pas aussi long que les précédents, qui concernent l'aromathérapie santé et bien-être.
Dans ce parcours – qui nous décale un petit peu par rapport à l'approche biochimique et physique des huiles essentielles – nous analysons d'abord et avant tout l'huile essentielle comme un moyen de faire connaître ou de tester une odeur.
On y aborde l'histoire et la géographie pour faire un bilan. Pas mal d'études en l'olfactothérapie sont citées, beaucoup de livres ainsi que nombreuses études sont publiées aujourd'hui.
On considère que l’huile essentielle produit des effets à la fois sur le plan olfactif et sur le plan chimique. Par exemple, dans le module sur le système nerveux, nous abordons une huile essentielle qui va stimuler la dopamine : le Romarin à cinéole.
Imaginons quelqu'un qui serait un peu amorphe face à ses cours ou qui n'arriverait pas à rentrer efficacement dans sa tâche. Il pourrait bénéficier des effets du Romarin à cinéole diffusé via un petit diffuseur. Ce sont des choses que l’on sait, car on a pu les calculer et les vérifier.

Dans une université basée en Grande-Bretagne, des tests ont été mené sur l'impact de la diffusion aérienne de l'huile essentielle de Romarin à cinéole pour ralentir, attention, il faut bien faire attention, ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer.
Là, on est à mi-chemin entre une caractéristique scientifique certainement liée à la composition chimique des huiles essentielles, l'utilisation d'une interface biologique et d'une interface sociale.
Il est toujours bon de rappeler que, parfois, nous avons des outils formidables à notre disposition et que nous aurions tort de nous en passer. Comme ces stimulants de la mémoire et de la concentration.
On peut proposer une diffusion de Citron et de Romarin à cinéole qui sont, en général, des odeurs relativement bien appréciées a des enfants qui ont des difficultés de concentration, ou des personnes âgées qui commencent un petit peu à tourner en boucle.
Ici, on élargit le débat, évidemment. Pour nous, le défi, c'était surtout d'essayer d'objectiver ce qu'une odeur fait quand on entre à son contact.
M.C. – J'ai entendu souvent dire dans les sphères de l’aromathérapie énergétique, que si tu n'aimes pas cette odeur, c'est justement que tu as du travail à faire avec ce qu'elle signifie émotionnellement. Je suis un peu perturbée par rapport à ça parce que dans le conseil ou dans la vente, je vais avoir énormément de mal à dire à quelqu'un « Vous détestez l'hélichryse ? Achetez-la, ça va vraiment vous faire du bien. »
A.B – Il peut s’agir de croyances personnelles, d’expériences défavorables, tout ce qui traîne dans le cortex et que les gens mobilisent pour écarter l'odeur, souvent de manière injuste.
Et ça, c'est l'idée du parcours. L'idée du parcours pour moi devrait déboucher un jour sur des études que nous pourrions pratiquer à taille réelle avec des gens que nous convierons et sur lesquelles nous appliquerions cette méthode de la pleine conscience.
L’objectif de la pleine conscience, en caricaturant un peu, c’est de se vider la tête et de se mettre dans une attitude méditative. On sait que la concentration joue un rôle.
Il faut également faire attention à certains fondamentaux de l'olfactothérapie et de l'olfactothérapie, comme les dosages. Une odeur peut être écœurante si on la respire à 100% de concentration et être parfaitement acceptée à 5 ou 10% de concentration. On essaie toujours de faire en sorte d’y aller de manière progressive, pour que ces préjugés sur telle ou telle odeur puissent être désamorcés.
Évidemment, c'est compliqué à faire dans une boutique. Mais les gens adorent ça.
Il y a des petits trucs tout bêtes à respecter quand on fait découvrir une odeur pour éviter d’écœurer la personne : ne jamais commencer par mettre l’odeur directement sur le pif ! Effectivement, il faut commencer par ouvrir le flacon, le mettre au niveau du plexus solaire, remonter doucement, doucement, doucement vers le nez. Si le sens de l’odorat est un peu atrophié, on peut utiliser une petite touche de parfumeur. Mais on commence loin du nez, très bas.
M.C. – Quand les gens utilisent une synergie olfactive, je remarque que la manière dont ils perçoivent le mélange peut évoluer au fil des jours. Je me demande ce qu’il se passe véritablement dans le cerveau et/ou au niveau émotionnel pour que cette personne ait par exemple l'impression : le jour 1 de sentir le fenouil en majorité et le jour 3 se dise « ça y est, c'est la bergamote qui prend le dessus ».
A.B – C'est au niveau des récepteurs olfactifs que ça se passe effectivement. Certains sont plus sensibles que d'autres à un moment donné.
La mécanique olfactive est complexe et elle commence au niveau du fond du nez avec ces fameux récepteurs olfactifs qui sont capables de s'accorder avec un nombre d'odeurs qui est assez phénoménal.
Ensuite, ça remonte au bulbe olfactif et du bulbe olfactif vers le cerveau limbique, avec l'histoire de la madeleine de Proust.

L'odeur est capable de s'adresser directement à notre cerveau émotionnel. Très rapidement, sans intermédiaire. Malgré tout, il y a des interactions (avec) les composants du cerveau limbique, notamment la fameuse amygdale. Ce truc vraiment minuscule dans le cerveau limbique est directement percuté par les odeurs qui viennent du bulbe olfactif.
On peut avoir une action assez spectaculaire chez certaines personnes à travers la réaction de l’amygdale.
L’amygdale est le siège de la peur et de la réaction instinctive. On constate de manière anatomique que les amygdales sont un peu sur-développées chez de nombreuses personnes qui ont vécu des moments difficiles dans leurs existences.
L’apparence du danger est parfois plus importante que le danger lui-même. Les personnes qui ont été maltraitées peuvent manifester des phénomènes de rejet dès que l'apparence du danger se présente dans leur tête (face à de l'ironie ou de la moquerie par exemple). C'est lié à un sous-fonctionnement de l'amygdale qui est impliquée dans les réactions instinctives.
Par l'olfaction, avec une compatibilité variable d'une personne à l'autre, on peut agir sur l'amygdale et éventuellement désamorcer certaines réactions de peur, d'angoisse, de rejet systématique face à une réalité qui est un peu moins dangereuse que les gens ne l'imaginent.
L'amygdale est aussi appliqué dans le circuit de la récompense. C'est important à savoir. En travaillant avec les arômes qui plaisent, on peut peut-être aider de nombreuses personnes à se débarrasser de certaines de leurs addictions, en créant un besoin de plaisir lié à la respiration d'odeurs qui leur font du bien.
M.C. – Ça rejoint une des questions que j'avais envie de vous poser sur les domaines dans lesquels il faudrait instaurer l'olfactothérapie. On parlait d'Alzheimer,dans quelle mesure cela est déjà ou pourrait être instauré dans les maisons de repos, les hôpitaux, ou en traumatologie ?
A.B – Oui. Traumatologie, certainement, oui.
Dans le parcours sur l'olfaction et la pleine conscience qu'on a créé avec l’École d’Aromathérapie Appliquée, on fait pas mal de digressions.
Il n'y a pas que le domaine scientifique qui nous apprend des choses, on pense aussi aux écrivains, certains philosophes.
C'est assez passionnant, au fil des siècles, de voir comment l'odorat est perçu pour beaucoup les philosophes et les scientifiques. Le sens olfactif était considéré comme un sens archaïque, qui n'avait plus vraiment d'utilité.
A notre époque, certains philosophes et anthropologues en parlent. Nous en citons une dans le cours : l’anthropologue Annick Le Guérer.
Annick Le Guérer établit une observation que je pourrais vous lire en partie. Elle dit que :
« à notre époque, qui accorde une grande intention au sens réel et à l'émotion, on porte de nouveau un vif intérêt au sens olfactif. Et puis, les récentes découvertes en neurosciences, évidemment, ça fait partie de ce bagage scientifique que l'on citera aussi, nous font découvrir l'odorat sous un autre jour, plus performant qu'il n'avait encore jamais été conçu, et plein de promesses sur bien des plans. Odeur et parfum participent aujourd'hui de façon reconnue au bien-être de l'homme et à sa connaissance du monde. »
Alors, pour revenir à votre question, un exemple particulièrement intéressant :
« le cas de polytraumatisés qui ont été dans le coma et qui, à leur réveil, ont perdu la voie du langage ; le fait de leur faire sentir quotidiennement des odeurs issues de leur vie passée (ça peut être le café, ça peut être le pain) les aide à retrouver les mots en procurant un choc émotionnel. Donc, il y a toujours ce lien entre sens olfactif et émotion. Donc, cet exemple met en évidence un intéressant paradoxe. Autant l'odorat est un sens qui échappe souvent au langage (nous avons beaucoup de mal à nommer les odeurs) autant il permet d'ouvrir le chemin qui mène au langage. À l'heure actuelle, l'odorat reprend sa juste place dans des domaines aussi variés que la médecine, la psychologie, la linguistique, la culture, le marketing, l'urbanisme aussi.Tout semble mis en place pour faire de ce sens le sens du futur. »
Voilà une petite synthèse que j'ai trouvé intéressante. Et je tenais à vous la lire car elle résume très bien l'intérêt de la redécouverte du sens olfactif – pour faire de nous des êtres humains accomplis et en prise directe sur leur environnement.
M.C. – Merci beaucoup pour ce partage.
Je me demandais, mais là c'est une question hyper personnelle, vous, vos trois huiles essentielles préférées en olfactothérapie ?
A.B – Ça évolue beaucoup. J'ai toujours bien aimé la Cardamome. J'aime bien les odeurs de bois.
Mais il y en a une que j'apprécie aussi – ce n’est pas tellement le Cèdre de l’Atlas, auquel on peut trouver parfois, comme disent les mauvaises langues, une odeur de pipi de chat – mais le Cèdre de Virginie, qu'on appelle aussi Genévrier de Virginie.
C'est une belle odeur de bois et quand on sent le Genévrier de Virginie, on a l'impression de rentrer dans un magasin d'instruments musiques. Donc c'est vraiment la quintessence de l'odeur du cœur du bois. Il n'y en a pas beaucoup, des huiles essentielles de cœur du bois : il y a le Cèdre de Virginie, le Cèdre de l’Atlas, il y a les Santal... J'aime bien le bois.
Alors le troisième, j’en sais rien… Je suis incapable de me décider.
Je peux citer la Myrrhe et l’Oliban, mais j'ai redécouvert il n'y a pas tellement longtemps quelque chose que je connaissais mal, qui rappelle un petit peu la Girofle, c'est le Basilic sacré. Le Basilic tulsi. Je l'aime bien.
Donc ces trois là, par exemple, je ne dirais pas que ce sont celles que je préfère. C'est les trois qui me viennent à l'esprit. Cardamome, Basilic sacré et Cèdre de Virginie.
M.C. – Que penseriez-vous de former les pharmaciens de manière plus assidue à l’aromathérapie ? Ils en vendent mais n’y connaissent parfois pas grand chose. Certains sont demandeurs d’en apprendre plus pour les conseiller de manière plus efficace…
A.B – Je pense que chaque catégorie professionnelle peut jouer sa carte : pharmaciens, herboristes, aromathérapeutes...
Dans la formation de l’École d’Aromathérapie Appliquée, nous avons pas mal de pharmaciens et de pharmaciennes. Maintenant, ce qu’ils font de cette formation dans leur pratique quotidienne, je ne sais pas toujours.
Ce qui me frappe, c’est que les huiles essentielles se trouvent un peu partout depuis longtemps, et les pharmaciens n’ont pas le monopole de la méconnaissance. Dans les magasins bio, par exemple, si vous demandez conseil, 9 fois sur 10, la personne ne saura pas vous répondre.
Quand j’habitais à Ixelles, il y a une dizaine d’années, je faisais mes courses dans un magasin aujourd’hui disparu. Souvent, en caisse, des clients posaient des questions sur les huiles essentielles. On me disait : « Ah, c’est bien que tu sois là, tu peux aider cette personne ? » J’aurais dû demander des commissions ! (rires)
Parfois je manquais d’une huile essentielle et n’avais pas le temps de commander en ligne, d’aller chez Bioflore ou à l'Herboristerie de Louise, donc je passe en pharmacie. Là, on me demandait souvent : « Vous connaissez les contre-indications ? » Oui, je les connais (rires). Mais est-ce que cela signifie que la personne derrière le comptoir connaît les propriétés des huiles essentielles ? Pas sûr. En tout cas, certaines contre-indications, souvent difficilement généralisables, leur ont été enseignées.
En réalité, regrouper l’aromathérapie dans un seul domaine n’a pas beaucoup de sens. Qu’y a-t-il de commun entre une goutte de cannelle, une goutte de lavande et une goutte de cèdre ? Leur seul point commun, c’est leur nature volatile. Certaines huiles peuvent être appliquées ou consommées telles quelles, alors que d’autres ne le peuvent absolument pas. Cela demande une connaissance fine et approfondie.
Il y a tellement à apprendre.
Par exemple, une gamme d’huiles essentielles « normale », difficile à trouver en pharmacie ou même en herboristerie, comprendrait environ 120 références unitaires. Et chacune de ces huiles a sa spécificité, comme si c’était un univers différent.
C’est pourquoi un enseignement spécialisé et une reconnaissance des compétences dans ce domaine sont essentiels. Notre combat pour une reconnaissance de la profession est juste et nécessaire.
L’herboristerie a clairement une carte à jouer en aromathérapie, d’autant plus que, chez les pharmaciens, cette gamme reste marginale par rapport à leur cœur de métier.
Dans le monde de la pharmacie, certains ont l’esprit ouvert, mais d’autres n’ont pas besoin de l’aromathérapie. Et je pense qu'il ne la conseillent pas.
Je crois qu'ils ont surtout, et Valnet a déjà écrit des choses sur le sujet il y a très longtemps, peur de « perdre ». Ce n'est pas une démarche extrêmement positive.
C'est le client qu'il faut savoir servir avec compétence. Si c'est pour avoir des huiles essentielles et faire du chiffre d'affaires uniquement...
Bien souvent, les gens qui achètent des huiles essentielles en pharmacie savent déjà ce qu’ils vont en faire et ne demandent pas de conseils.
Et, à ceux et celles qui demandent un conseil pour un rhume ou autre, le ou la pharmacien·ne va plutôt chercher dans sa panoplie de produits pharmaceutiques en vente libre (que dans l'aromathérapie).
Dans les hôpitaux, l’aromathérapie fait peu à peu son chemin, surtout dans les centres spécialisés ou les soins de fin de vie. Ce sont rarement les médecins qui l’utilisent, car ils ont besoin d’études cliniques solides et redoutent de se tromper.
Quant à quantifier ou prévoir l’usage d’une huile essentielle comme on le fait pour un médicament, c’est extrêmement difficile.
M.C. – En quelle année avez-vous débuté dans le monde dans de l’aromathérapie et qu’est-ce qui vous y a amené ?
A.B – En 1993. J’y ai été amené par des expériences personnelles. On ne se réveille pas à cette époque-là en se disant « je ne termine pas l'école, je vais devenir aromatologue ». Personne ne pouvait savoir ce que c'était et ce que cela allait devenir. Il y a des gens qui se disent qu'ils ont parfois des destinées écrites à l'avance. Ils le disent avec beaucoup d'aplomb.
Non, pour moi c'était d’abord des expériences personnelles.
Pour moi-même, à l'époque, dans les années 80, là où j'habitais, il y avait peu de magasins bio, mais il y en avait un qui était tenu par une formidable personne qui était herboriste. Comme vous. C'était rue de la paix, Mme Françoise Joris. C'était un magasin qui ressemblait à un autobus. Très étroit et très profond.
Je trimballais toujours de l'allergie saisonnière et de l'asthme. Elle m'a fait découvrir l'huile essentielle d’estragon. J'ai essayé ça, et ça a fait un effet bœuf ! C'est des petites expériences comme ça.
Il faut être attentif et ouvert. Il faut entrer dans des magasins où on n'a pas nécessairement l'habitude d'entrer. Écoutez ce qu'on vous dit. On se nourrit des connaissances des autres. Finalement, vous comme moi, on se nourrit des connaissances.
Quand ma fille est née, c'était en 1989, j'avais des connaissances tout à fait basiques de l'aromathérapie. Mais ma fille, ça a commencé à avoir des otites à répétition.
Si j'avais, à cette époque-là, connu tout le potentiel de la phyto-aromathérapie pour éviter ça… Je me dis qu'il y a un potentiel de médecine préventive et de médecine accessible. Je peux parler de médecine accessible, pour le commun des mortels, qu'on peut mettre en œuvre immédiatement sans être nécessairement obligé de passer par le médecin, ou en attendant le médecin.
Il y a quelques années un voisin a commencé à avoir des douleurs à la poitrine. Il avait une tendance à l'artériosclérose. Il a subi plusieurs pontages, mais entre deux crises, je lui ai recommandé l’huile essentielle de khella. Elle a un effet dilatateur coronaires, urétrales, bronchiques. Évidemment, on ne va pas mettre cela entre toutes les mains, mais ça a pu retarder, apaiser la crise et il en était étonné.
Ce n’est pas l’huile essentielle qui fait sauter le « bouchon », ce monsieur était bien entendu suivi. Elle a détendu le spasme tout simplement, c’est de la médecine au premier degré.
M.C. : Vous avez mentionné une anecdote liée à l’odorat humain. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jai gardé pour vous une citation que d'Hippocrate : « Le médecin doit être l'homme aux narines bien mouchées ».
Ça veut dire que dans l'Antiquité, l’odorat servait à détecter l’état de santé des patients.
Vous connaissez le cas de cette écossaise qui s'appelle Joy Milne ?
Elle avait constaté qu’elle connaissait très bien entendu l'odeur de son mari. On connaît bien l'odeur de nos proches. Et ça avait changé.
Ils ont découvert après que le changement de l'odeur qui l’a mise en alerte était lié à l'installation de la maladie Parkinson.
(...)
Des chercheurs se sont intéressés à son cas et ont essayé de démêler le vrai du faux. On l'a soumise à différents tests.
On l'a mis en présence de plusieurs personnes qui étaient en très bonne santé et d'autres groupes de personnes qui avaient la maladie bien installée même si elle n'était pas visible.
Elle a passé son test et elle a réussi totalement "les doigts dans le nez", comme on dit.
Elle avait fait une faute et et avait désigné une personne qui n'avait pas la maladie de Parkinson.
Ce qui est fou, c’est qu’il s'est avéré qu'elle avait en fait raison, parce que la maladie s'est déclarée par la suite chez cette personne. Donc elle était capable de détecter (...) les prémices de la maladie sur cette personne.
Elle était capable de sentir, un peu comme les chiens sentent la maladie.
Nous avons apparemment un potentiel objectif qui est énorme. Les humains ont en théorie le pouvoir de détecter un état maladif par la simple perception (olfactive) de la sueur du malade. Nous avons ce potentiel.
S'il y existe des gens qui ont effectivement un odorat aussi développé que ça, vous pouvez imaginer que nous nous remettions à sentir, dans tous les sens du terme ?
Sentir autour de soi. C'est-à-dire être complètement éveillé au monde. L'olfaction, c'est un moyen formidable d'être éveillé au monde. - André Bitsas
M.C. – Il faut forcer ces gens à faire des métiers de soins alors (rires). Il ne faut pas que ces gens-là restent comptables. En tout cas, c'est formidable.
A.B – Dans le cadre du parcours de l’École d’Aromathérapie Appliquée, nous abordons également la physiologie de l'odorat, notamment les troubles qui y sont associés.
Cela inclut l'anosmie, qui est la perte totale de l’odorat et que beaucoup connaissent aujourd’hui en raison du Covid-19. Certains peuvent ne plus sentir pendant des mois. Nous explorons aussi :
L’hyposmie, soit une diminution de la capacité à percevoir les odeurs.
L’hyperosmie, qui est au contraire un odorat extrêmement développé.
La cacosmie, où l’on sent des odeurs désagréables alors qu’elles n’existent pas.
Et enfin, un dérivé de la cacosmie, appelé la fantosmie, qui consiste à percevoir des odeurs inexistantes, comme du brûlé ou du gaz.
La fantosmie, c'est un peu l'équivalent olfactif des acouphènes. Elle ne s'installe pas de manière permanente, mais peut apparaître dans certaines circonstances, souvent liées à un petit "court-circuit" dans le cerveau.
M.C. – Peut-être que c'est une manière de sentir les énergies des autres. Dire celui-ci, je ne le sens pas ? (rires)
A.B – C'est exactement ça (rires) On le dira à ceux qu’on ne sent pas « aujourd'hui, tu sens le brûlé ».
Site de l’École d’Aromathérapie Appliquée : https://www.ecole-eaa.com/
1. Dominique Baudoux est le fondateur de la marque Pranarom ainsi que l’un des précurseur de l’aromathérapie en Belgique et en francophonie.
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